La fermentation : de quoi parle-t-on ?
Avant tout d’un procédé, une transformation « naturelle », spontanée, connue depuis l’antiquité pour conserver les aliments (lait, végétaux, viande, boissons…) par l’action spontanée ou contrôlée des microorganismes (levures, bactéries, champignons filamenteux).
Les produits fermentés dits « traditionnels », sont répandus partout et depuis des siècles : pain, charcuteries, fromages, boissons alcoolisées, choucroute, sauce soja, kéfir, Kombucha, on en recense plus de 5000… citons un chiffre évocateur : les diètes à travers le monde seraient composées de 10 à 40% de produits fermentés1.
Mais le principe de fermentation s’étend au-delà de ces produits traditionnels, et peut aussi être utilisé pour de nombreuses autres applications : amélioration des fonctionnalités et propriétés de diverses matrices alimentaires, production de molécules pour la nutrition et santé humaine, animale, végétale ; production de biodiesel à partir d’huiles usagées, matériaux biosourcés… ; Le potentiel de découverte est encore vaste !
Fermentation et perception du consommateur :
Un regain d’intérêt notable pour les produits issus de la fermentation émerge depuis quelques années. Plusieurs raisons à cela : la recherche de naturalité et de durabilité, l’accélération de la tendance du fait maison, un besoin de réassurance et réappropriation d’une alimentation authentique. Preuve de cette tendance, comme souligne Eric Birlouez, ingénieur agronome et sociologue de l’alimentation, en 2020 pendant le confinement le pain serait la recette qui a été la plus partagée sur les réseaux sociaux !
Enfin un dernier aspect peut expliquer ce regain d’intérêt : l’accélération et la diffusion des connaissances sur les microbiotes (les populations de microorganismes qui colonisent un environnement, dont le corps humain), leur rôle, leur composition, et les corrélations ou liens positifs établis entre des mots clés comme « microorganismes », « probiotiques », « fermentation », et « santé ». On parle d’ailleurs fréquemment de « deuxième cerveau » à propos de l’intestin et des possibles interactions entre les microorganismes qui le colonisent et l’ensemble du système nerveux.
Attention toutefois, dans l’esprit collectif, la thématique de la fermentation peut aussi se rapporter à des notions moins positives : « pourriture », « microbes », « moisi » …
Rappelons également qu’à ce jour aucune allégation santé relative aux aliments fermentés (excepté pour le yaourt) n’est autorisée dans l’union Européenne !
Fermentation et bénéfices santé :
Pour compléter ce point, comme présenté lors de la soirée par Anne Thierry et Florence Valence, chercheuses à l’INRAE, ces corrélations ne sont pas complétement infondées. Les études se multiplient et démontrent clairement des effets bénéfiques comme l’évolution positives des marqueurs de santé (inflammation, diversité du microbiote intestinal…) en lien avec des diètes d’aliments fermentés ou supplémentation en certains microorganismes spécifiques.Etude 1:
Gut-microbiota-targeted diets modulate human immune status ;
Wastyket al., Cell (2021)
Conclusions de l’étude : “Les aliments fermentés peuvent être utiles pour contrer la diminution de la diversité du microbiote et l’augmentation de l’inflammation, omniprésentes dans la société industrialisée’’Etude 2:
Beneficial Propionibacteria within a Probiotic Emmental Cheese: Impact on Dextran Sodium Sulphate-Induced Colitis in Mice ;
Rabah et al, Microorganisms, 2020
Conclusion de l’étude : « la consommation d’emmental fabriqué avec des ferments ‘’probiotiques’’ (ici une souche spécifique) protège de la colite hémorragique induite chez la souris »
Enjeux futurs
Entreprises B2C
Pour les entreprises positionnées sur le développement et la commercialisation de « nouveaux » produits (nouveau au sens peu connus en France, ou maitrisés uniquement par des amateurs initiés) comme ici La preserverie et sa gamme lactofermentée, ou la Brasserie l’indispensable et son Kombucha, l’enjeu réside principalement dans l’adoption et la sensibilisation plus large à de nouvelles saveurs, parfois clivantes mais assumées, qui se limitent encore aujourd’hui à une frange réduite de consommateurs.
Un autre frein réside dans l’aspect « vivant » de ces produits, soit leur caractère changeant au cours du temps s’ils ne sont pas traités thermiquement (le risque étant alors de perdre une partie de leurs propriétés nutritionnelles) qui peut dérouter le consommateur… Là où l’industrie agroalimentaire s’efforce depuis des années de garantir une stabilité et une harmonisation des produits qu’elle met sur le marché.
Cette nouvelle approche de développement de produits « vivants » trouve aussi des freins dans l’absence de référentiel ou de standards industriels pour la montée en échelle. Ces entreprises avancent donc en essai-erreur, en amélioration continue, et l’expérience qu’elles acquièrent du temps est leur meilleure alliée.
Enjeux B2B
Pour des entreprises plus orientées B2B comme pour les entreprises Gnosis by Lesaffre (Business Unit du groupe Lesaffre dédiée à la nutrition et santé) ou VF Bioscience, qui proposent des probiotiques et ingrédients issus de la fermentation, la tendance se ressent également, pour des raisons similaires à celles évoquées précédemment (quête de naturalité, lien entre ferments et santé…).
Le marché est en croissance et reste principalement Américain, en Europe plutôt tiré par l’Italie et l’Allemagne, enfin l’Asie présente un fort potentiel de développement.
Prenons l’exemple de la chondroïtine cité par Philippe Caillat, directeur marketing global de Gnosis by Lesaffre : la fermentation permet de produire la molécule par des microorganismes, quand elle est habituellement issue de sources animales ! La demande augmente et le groupe investit dans une nouvelle unité en région Hauts de France.
L’enjeu de pédagogie et vulgarisation auprès du grand public est également important pour ces entreprises : on peut parler dans leurs cas de fermentation « industrielle », or associer les notions « industriel » et « procédé naturel » peut être antinomique dans l’esprit du consommateur…
Pour s’impliquer directement dans cette « éducation » du consommateur, en tant qu’acteur historique et de premier plan de la fermentation, le groupe Lesaffre a ainsi participé à l’édition d’un livre grand public disponible depuis peu en libraire : « Au cœur de la fermentation ».
Cet article a été rédigé suite à la conférence : « Fermentation, applications, nouveaux marchés & potentiel santé » organisée par Clubster NSL et Euralimentaire, en partenariat avec Harmonie Mutuelle.
Intervenants et ressources complémentaires :
- Renato Froidevaux, enseignant-chercheur au sein de l’UMRt BioEcoAgro, présentation de la Chaire industrielle Charles Viollette dédiée à la valorisation des co-produits agroalimentaires ;
- Anne Thierry & Florence Valence, Centre de Ressources Microbiennes, Bactéries d’intérêt alimentaire, INRAE, STLO, Rennes INRAE ;
- Eric Birlouez, Ingénieur agronome et sociologue de l’alimentation, auteur et conférencier ;
- Cyril Raveschot, responsable de recherche chez VF Bioscience ;
- Philippe Caillat, directeur marketing de Gnosis by Lesaffre;
- Denis Hennebert, Co-fondateur de La preserverie ;
- Charles Dumeignil, fondateur de la Brasserie l’indispensable ;
- Gregoire Chevallier, fondateur de MY-ME Kombucha;
- 1 Tamang JP, Kailasapathy K. Fermented foods and beverages of the world. CRC Press Taylor & Francis Group (2010).